Par Mathieu Grégoire
Après une première annulation par le Conseil d’État, en décembre 2020, le gouvernement a décidé de relancer sa réforme de l’assurance chômage en publiant le 31 mars un décret pour application au 1er juillet 2021.
Cette réforme n’a pas manqué de susciter des critiques sur ce qui semble faire sa cohérence : une attaque contre les droits des salariés les plus précaires au nom de la lutte contre la précarité. Une analyse détaillée de ses mécanismes révèle une autre de ses caractéristiques : cette réforme apparaît, à bien des égards, mal maîtrisée dans la mesure où elle génère des incohérences et des situations aberrantes. La réforme modifie profondément les modalités de détermination du salaire journalier de référence (SJR) qui constitue la colonne vertébrale de l’ensemble du dispositif d’indemnisation. Ce SJR, qui sert notamment à calculer le montant de l’indemnité journalière, a aussi d’autres fonctions dans l’architecture globale de l’indemnisation. Le transformer déstabilise ainsi l’ensemble du dispositif et génère des situations qui sont aberrantes au regard des objectifs affichés par cette réforme, mais aussi au regard de la mission même de l’assurance chômage, voire de la plus élémentaire logique économique.
C’est sur la base d’une de ces incohérences, la plus manifeste, que le Conseil d’État a annulé la première version de la réforme : le salaire journalier de référence pouvait « pour un même nombre d’heures de travail, varier du simple au quadruple en fonction de la répartition des périodes d’emploi ». Il pouvait par conséquent en résulter « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi ». Le décret de mars 2021 ajoute un simple mécanisme de plancher au calcul du salaire journalier de référence afin d’éviter qu’il puisse varier du « simple au quadruple ».
Cela suffit-il à gommer ces incohérences et aberrations ? Cela en crée-t-il de nouvelles ?
Dans une série de billets publiés dans le Carnet de la revue Salariat, nous explorons ces questions en nous appuyant sur un simulateur de droits construit dans le cadre d’une recherche sur l’évolution des droits à indemnisation depuis 1979 et mis à jour en prenant en compte les dispositions prévues dans le projet de décret transmis le 16 mars 2021. Nous montrons la multiplicité et l’importance des incohérences et des « malfaçons », qui demeurent malgré la correction à la marge proposée par le gouvernement et parfois à cause de ces corrections. Même si elles ont toutes la même origine – la réforme du salaire journalier de référence et de la durée d’indemnisation – ces incohérences sont de plusieurs natures :
- des contradictions entre les justifications avancées et les mécanismes mis en place,
- des contradictions entre la vocation même de l’assurance chômage et les dispositions prévues
- des discriminations (en traitant de façon différente des salariés sur la base de critères illégitimes)
- des atteintes au principe d’égalité (en traitant de façon différente des salariés aux caractéristiques et parcours identiques).